Jardins partagés, hydroponie, architecture écologique… Et si la campagne venait s’inviter en ville ? Manque d’espace, rareté des ressources, sensibilité écolo, toutes les raisons sont bonnes pour voir naître une véritable agriculture urbaine. Un décryptage signé Yoann Sportouch.
Au cours des années 70, la France voit apparaître un phénomène sociogéographique nouveau, la périurbanisation ou rurbanisation. Ce néologisme créé durant l’année 1976, vient nommer une réalité observée depuis quelques années, à savoir un retour des populations urbaines vers les campagnes. Les populations rurales voyaient débarquer toujours plus de citadins, souhaitant investir des espaces plus vierges, loin du tumulte et du stress de la ville. Au-delà d’un réel « désir de vert et de tranquillité », cette migration des urbains pour le monde rural était rendue possible grâce à l’essor de la voiture comme moyen de transport autonome et à l’amélioration certaine des voies de circulation.
Pourtant cet exode ne se réalisait pas sans échange. Les nouveaux ruraux emportaient avec eux ce qui faisait la spécificité de la ville, à commencer par les nouvelles technologies… Le plus représentatif en est d’ailleurs le fameux poste de télévision. On souhaite se couper de la ville, et retrouver l’air frais de la campagne, pour autant, abandonner totalement la culture urbaine n’est pas envisageable.
Depuis, l’eau a coulé sous les ponts. Nous franchirons bientôt le cap des 2/3 de l’humanité vivant en ville. A l’instar des phénomènes d’échanges culturels évoqués avec la périurbanisation, l’avènement d’une civilisation urbaine ne se réalise pas sans mélange avec le monde rural. Bien au contraire, l’idée que l’on puisse retrouver un peu de campagne en ville fait son chemin et l’exemple le plus probant est le développement conséquent des projets d’agriculture urbaine. Quelle qu’en soit l’explication sociologique, le paysan des villes deviendrait presque une réalité.
Mais à quoi fait-on référence quand on parle d’agriculture urbaine ? Il est peu probable que l’on remplace un jour la place Beauvau par un champ de maïs, ou la Concorde par un pâturage de bovins… Néanmoins cultiver ses tomates ou se lancer dans un élevage de plantes exotiques deviendrait non seulement possible en ville, mais serait bien plus que cela en train de devenir partie intégrante des nouveaux modèles de villes que nous élaborons dès à présent pour le futur. En attendant, prenons le temps de découvrir les différentes formes que recouvre ce retour du paysan en ville.
Les jardins partagés
Aujourd’hui, la forme la plus répandue d’agriculture urbaine reste les jardins partagés. Plus qu’un simple moyen de cultiver son jardin en ville, le jardin est pédagogique, créateur de lien social et animateur de quartier. Il existe un réseau national des jardins partagés depuis 1997, le « Jardin dans tous ses états ». C’est un collectif d’une dizaine de structures régionales, associatives et coopératives. Cette forme de projet social n’est pas sans rappeler les jardins ouvriers du 19e siècle ou jardins partagés que l’on pouvait retrouver dans les cités jardins imaginées par Ebenezer Howard. Le projet global était à l’époque d’imaginer au-delà de la forme urbaine spécifique des logements, un véritable modèle social basé sur une certaine forme d’autosuffisance alimentaire, de solidarité et le partage.
Les jardins-terrasses ou jardins sur toits
Au-delà de ces jardins partagés, que l’on peut retrouver dans différents quartiers au détour d’une rue, ou d’un carrefour, une autre forme architecturale ou urbanistique commence à être touchée par le retour de l’agriculture en ville. Ce sont les toits des immeubles ou plus précisément les toitures plates de certains immeubles. Faire fleurir une terrasse n’est certes pas une nouveauté, mais aujourd’hui il ne s’agit plus d’une simple décoration comme il y a quelques années, mais bien d’une production régulière et commune de fruits et de légumes.
C’est notamment le cas d’une des plus célèbres toitures-jardins, la Eagle Street Rooftop Farm qui voit le jour en 2008. Imaginée par les propriétaires de l’immeuble Broadway Stages, la ferme urbaine se situe à Brooklyn, à New York. On y pratique notamment de l’agriculture bio, ce sont d’ailleurs les premiers à avoir réussi à produire des laitues et des tomates en pleine ville. Cette véritable ferme de toit accueille également tout un élevage de petits animaux de ferme, tels que des poules ou encore des lapins. Alors que la ferme offre une vue imprenable sur New-York, elle offre surtout la possibilité aux utilisateurs de venir cultiver et également y faire ses courses. Plusieurs restaurants viennent d’ailleurs s’y approvisionner.
A Paris aussi, ce type d’agriculture urbaine fait son chemin. Deux ingénieurs ont ainsi en décembre 2011, sur le toit de l’école AgroParisTech eu l’idée de transformer cette terrasse de 800 m2 inutilisée en potager urbain. Nicolas Bel et Nicolas Marchal, associés à des chercheurs de l’Institut National de Recherche Agronomique ont ainsi testé au cours de ces deux dernières années, différentes substances afin d’obtenir une réelle variété de produits agricoles urbains. Le projet de toit Potager était notamment de cultiver des légumes à partir de déchets organiques originaires de milieux urbains et périurbains, de type bois, compost ou carton tout en tentant de contrevenir à l’impact de la pollution sur les fruits et légumes produits. Bien que les jardins partagés ou les toits de fermes urbaines reconvertissent des pans délaissés de la ville, ces pratiques jusque-là évoquées ne font que s’adapter au bâti déjà existant.
Les fermes verticales hydroponiques
A l’inverse, il existe une autre forme d’agriculture urbaine, cette fois-ci bien plus avant-gardiste, et qui bouscule surtout l’urbanisme et l’architecture habituelle.
On parle tout d’abord de culture hydroponique, autrement dit de cultures sans terre. Les plantes reçoivent tous les nutriments nécessaires en atmosphère contrôlée, c’est à dire au sein d’une serre où sont réglées lumière et eau nécessaires à leur approvisionnement.
Le véritable jardin d’éden de ces nouvelles cultures hors-sol, est bel et bien Singapour. Avec 5 millions de personnes entassées sur 712 km, les go-grows fleurissent maintenant depuis plusieurs années afin de répondre aux besoins alimentaires plus que grandissants. L’Autorité agroalimentaire de Singapour s’est ainsi associée à une société privée Sky Green pour développer ces fermes verticales. Situées tout en haut de différents immeubles, elles sont ainsi constituées de tours rotatives en aluminium qui permettent aux légumes de recevoir une quantité égale de lumière.
Ces fermes verticales urbaines imaginées par Sky Green ont d’ailleurs donné naissance à d’autres idées encore plus ingénieuses. La dernière en date, celle du laboratoire JAPA, qui vient d’élaborer un concept révolutionnaire de tour urbaine. Celle-ci serait en réalité entièrement dédiée à l’agriculture mais sa spécificité réside surtout dans son lieu d’implantation. La tour serait flottante afin de trouver une place nouvelle dans cette ville sur-urbanisée. Les structures de ces tours en forme de boucles permettront de laisser passer un maximum de lumière afin de donner une réelle possibilité de croissance des cultures.
Une architecture pensée pour l’agriculture urbaine
Tout récemment, Philippe Gazeau, urbaniste de l’agence FGP et Michel Hoessler, paysagiste de l’Agence TER ont récemment pensé un projet urbain dans le but de révolutionner le périphérique parisien en lieu d’habitation. Dans leur présentation, ils précisent qu’ils imaginent des espaces dédiés à l’agriculture urbaine. En 2013, Gaëtan Laot, diplômé de Rouen Business School et Pierre-Marie Malfondet, designer diplômé de l’Ecole Boulle présentent leur projet de potager coulissant fixable aux façades des immeubles. Ce projet reçoit le premier prix du concours national de l’entrepreneur en économie sociale 2013. En 2012, l’architecte Vincent Callebaut lance à Taiwan la construction d’une nouvelle tour résidentielle baptisée “Agora Garden”. Le projet qui sera livré en 2016 accueillera des jardins suspendus ainsi que des vergers et jardins potagers.
En 2011, AWR organise comme chaque année un concours international d’architecture, design d’intérieur, design industriel et de l’urbanisme. Le thème choisi cette même année fut la ferme verticale urbaine, et lieu d’implantation de la construction devait être Londres. En 2010, l’architecte Roland Castro conçoit un projet qui doit «réconcilier la nature et la ville» : « Habiter le ciel ». Ce village vertical est constitué de 17 étages dont le noyau central est composé de cinq cours superposées autour de jardins. Quelques années auparavant, c’est l’ANRU (Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine) qui imagine au sein de ces projets de rénovation urbaine, l’instauration d’espaces réservés à des jardins partagés.
Au-delà de cette tendance certaine, il n’est finalement pas anodin de voir apparaitre comme thème de l’Exposition Universelle de Milan 2015, « Nourrir la planète ». En effet, l’alimentation mondiale devient une question majeure pour l’ensemble de l’humanité, impliquant inévitablement des innovations révolutionnaires permettant de satisfaire les besoins de tous les habitants de la planète. Les entrepreneurs, les chercheurs, les agronomes, les architectes, les urbanistes ont bien saisi l’importance de cette question. Reste à savoir si les autorités, toujours très frileuses d’innovations architecturales (outre quelques fameux terrains d’expériences tels que Dubaï ou Singapour…) sauront saisir l’importance de cette question ?
Source : FutureMag