Dans une récente étude, la Banque mondiale analysait le processus d’urbanisation accéléré actuellement en cours en Asie orientale et indiquait que le phénomène n’en était encore qu’à ses prémices [1].
Il devrait se poursuivre au cours des prochaines décennies alors qu’en 2010 la population urbaine ne représentait encore que moins de 40 % du total. On mesure, dans ce contexte, l’importance d’une prise en compte précoce des enjeux, garante de la qualité de vie dans les villes de demain.
Cette nécessité stratégique d’une approche prospective de l’urbanisation en Asie fut au centre des réflexions conduites au sein d’un atelier organisé par l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID), à Bangkok, en octobre 2014 [2], dont les conclusions firent l’objet d’un compte rendu publié par New Security Beat, un blog du Wilson Center consacré à la dimension sécuritaire des questions environnementales [3]. On en résume ici les points principaux.
Planification
Historiquement, les villes ont toujours été l’épicentre du développement et de la croissance économique. Mais la prospérité des villes asiatiques de demain n’est pas garantie. Elles doivent construire leur avenir dès aujourd’hui, bien avant d’émerger ou de s’étendre. Tous les participants de l’atelier s’entendent sur les bénéfices d’une planification bien menée qui évite de coûteux aménagements a posteriori. Reste à convaincre des gouvernements locaux trop souvent à court d’argent.
Vieillissement
Le processus d’urbanisation en Asie rencontre une autre tendance encore trop négligée : le vieillissement de la population. Au cours des quatre prochaines décennies, le nombre de personnes âgées de 65 ans ou plus dans la région devrait tripler, passant de 300 millions en 2012 (8 % de la population) à 900 millions en 2050 (18 % de la population). Dès aujourd’hui, les planificateurs urbains doivent prendre en compte les besoins de cette population.
Résilience
Neuf des dix pays [4] les plus menacés par la montée des eaux due au changement climatique se trouvent en Asie. Construire de nouvelles villes sans prendre en compte les conséquences du changement climatique saperait les fondements de la prospérité et de la sécurité à long terme, et ferait courir des risques très importants à leurs habitants. Le développement de la résilience, la capacité de pouvoir reconstruire après un désastre naturel, doivent devenir des exigences centrales des planificateurs urbains en Asie, d’autant que les zones urbaines les plus exposées aux risques sont généralement habitées par les populations les plus démunies.
Institutions locales
Seul un petit nombre de villes asiatiques disposent des ressources humaines et des compétences nécessaires pour planifier, financer, coordonner et développer des stratégies de résilience. Dans ce contexte, les institutions locales ont un rôle essentiel à jouer pour permettre d’adapter les stratégies urbaines aux réalités sociales des communautés locales. Il est essentiel que tous les acteurs puissent partager une vision commune, ce qui est pourtant rarement le cas.
Alimentation
Qui va nourrir les villes ? En Asie, les zones rurales et urbaines ont pendant longtemps vécu en symbiose. Mais au cours de ces dernières années, on n’a pas accordé une attention suffisante à l’avenir de l’agriculture, à la préservation des écosystèmes ruraux et naturels, ni à la réciprocité des relations entre espaces ruraux et urbains. L’exode rural entraîne de profonds bouleversements économiques, sociaux et environnementaux dans les campagnes. Dans la plupart des pays asiatiques, la réforme foncière a été lente et la structure des exploitations demeure fragmentée. L’avenir de l’agriculture traditionnelle est incertain.
Pauvreté
Depuis qu’il y a des villes, il y a des taudis et des bidonvilles, mais ces derniers ont récemment connu une expansion exceptionnelle. En Asie, 500 millions de personnes résideraient aujourd’hui dans des bidonvilles. De faibles revenus, une pénurie de logements abordables, le prix élevé des biens de consommation, l’exode rural et la concentration de populations marginalisées sont autant de facteurs qui alimentent la croissance des bidonvilles. Les responsables municipaux doivent mettre en œuvre des mesures immédiates afin d’assurer tous les services de base à ces habitants. La résorption des bidonvilles urbains est liée à la question de l’accès à la propriété foncière ainsi qu’à celles de la gouvernance et des infrastructures publiques.
Une nouvelle ère urbaine en gestation ?
Les outils permettant de faire face aux défis de l’urbanisation n’ont jamais été aussi nombreux. L’analyse en temps réel des données fournies par les téléphones mobiles ou d’autres capteurs permet de dévoiler des profils et des schémas qui peuvent contribuer à réduire les embouteillages, à faciliter l’accès à l’eau propre, à anticiper les désastres naturels et à remédier aux coupures de courant. L’adoption rapide des appareils portables, des réseaux sociaux et d’autres innovations technologiques est en mesure de susciter un changement systémique de la gouvernance à tous les niveaux.
Ces technologies peuvent permettre aux plus petites des collectivités de communiquer rapidement leurs besoins aux gouvernements et de renforcer la responsabilité de ces derniers. Elles facilitent en outre une meilleure allocation des ressources, là où elles sont le plus nécessaires. Pour autant, le potentiel n’est pas toujours mis à profit et ces technologies devraient être mieux exploitées. La participation du secteur privé pourrait également appuyer une meilleure évaluation et catégorisation des grands risques urbains. La création de programmes d’assurance novateurs devrait aider les villes à supporter les conséquences financières des événements dus au changement climatique, grâce à une meilleure estimation des risques, partagés entre le secteur public et le secteur privé.
En conclusion, Steven Gale (USAID), qui fut l’un des organisateurs de cet atelier, rappelle que le processus d’urbanisation en Asie et la croissance économique sont inextricablement liés. En dépit du nombre d’outils innovants qui sont désormais à leur disposition, trop de villes en Asie demeurent focalisées sur des préoccupations immédiates et tardent à prendre la mesure des défis de l’avenir, le vieillissement de la population, la croissance des inégalités ou l’aménagement du territoire.
Source : Futuribles
[1] East Asia’s Changing Urban Landscape: Measuring a Decade of Spatial Growth, Washington, D.C. : Banque mondiale (Urban Development Series), 2015. URL ; cf. Vinh Yann, « La croissance urbaine en Asie orientale », Note de veille, 12 mars 2015, Futuribles International. URL : https://www.futuribles.com/fr/base/article/la-croissance-urbaine-en-asie-orientale/. Consultés le 21 avril 2015.
[2] Atelier organisé par l’USAID en partenariat avec le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), ONU-Habitat et l’initiative Global Pulse de l’Organisation des Nations unies (ONU), qui a rassemblé pendant deux jours urbanistes et responsables politiques.
[3] Gale Steven, « Are We Keeping Up with Asia’s Urbanization? »,New Security Beat, 2 février 2015. URL :http://www.newsecuritybeat.org/2015/02/keeping-asias-urbanization/. Consulté le 21 avril 2015.
[4] Il s’agit de la Chine, du Viêt-nam, du Japon, de l’Inde, du Bangladesh, de l’Indonésie, de la Thaïlande, des Pays-Bas, des Philippines et de la Birmanie.