Si les insectes ne remplaceront pas tout de suite l’entrecôte dans nos assiettes, il est fort probable que les farines d’insectes, riches en protéines, entrent d’ici peu aux menus de nos poissons d’élevage, volailles, porcs, bovins en commençant par l’écuelle de nos chiens et chats.
Avec l’élevage d’insectes, c’est un nouveau domaine agro-industriel qui s’ouvre. « Les innovations de ce type, où tout reste à créer sont extrêmement rares, se réjouit Frédéric Marion-Poll, chercheur à Agro Paris Tech. Nous sommes face à un processus de domestication, qui promet de nombreuses découvertes et finalités encore insoupçonnées (molécules spécifiques, biomatériaux, bio fuel,..). Demain, les insectes nous serviront à mieux tirer parti des ressources et de déchets agro-alimentaires que nous sous-exploitons actuellement. »
1 MILLIONS D’ESPÈCES
Le règne des « insectes » rassemble plus d’un million d’espèces différentes aux régimes alimentaires et aux caractéristiques très variés, comme le prouvent depuis des millénaires l’abeille et le ver à soie domestiques. Actuellement, les recherches sur l’élevage d’insectes se concentrent sur les teneurs en protéines. Ainsi les vers de farine (ténébrions) se nourrissent de céréales, pulpes de betterave ou déchets de biscuiterie. Les mouches peuvent créer des protéines comestibles à partir de lisier ou de déchets d’abattoir ou de légumes abîmés s’ils n’ont pas été traités aux insecticides ! Plus intéressant encore, les termites sont capables de transformer la cellulose du bois ou de la paille. A l’image des légumineuses, certaines espèces de termites ont la faculté de synthétiser l’azote atmosphérique pour produire leurs protéines.
Les insectes sont des animaux à sang froid qui ne consomment pas d’énergie superflue sous forme de chaleur. Ainsi, leur taux de conversion est excellent : avec 10 kg de son de blé, il est possible d’obtenir 7 kg de vers de farine, un score légèrement supérieur au poulet de chair obtenu après plus d’un siècle de sélection génétique et de recherche zootechnique. La marge de progrès sur les rendements des insectes en élevage est encore inconnue.
AMÉLIORER LE COÛT DE PRODUCTION
« Avant de voir apparaître une véritable filière insectes en France, il reste de nombreux verrous à ouvrir, avertit Samir Mezdour d’Agro Paris Tech qui mène depuis deux ans des recherches sur la confection d’une bio-raffinerie d’insectes. Il nous faut trouver des solutions pour mécaniser la production et la transformation en farine. L’objectif serait d’atteindre un coût de production entre 600 et 1.200 euros la tonne d’insectes pour être compétitif face à d’autres sources de protéines. »
D’autres verrous concernent la réglementation européenne encore inexistante sur les conditions d’élevage et d’abattage des insectes ou les risques de toxicité (métaux lourds, mycotoxines). Et surtout revoir la réglementation sur les farines animales. En effet, aujourd’hui, les farines animales sont autorisées uniquement pour le marché du « pet food » (chiens et chats) et les farines de poisson pour l’aquaculture. Il se pourrait que d’ici quelques années Bruxelles autorise l’alimentation croisée entre certaines espèces, d’autant que les insectes sont génétiquement très éloignés des volailles, porcs, bovins ou humains.
ELEVEUR D’INSECTES, UN MÉTIER D’AVENIR
« Je pense que d’ici cinq à dix ans, le marché des insectes s’ouvrira pour les volailles et les porcs, et il faudra attendre une dizaine d’années avant que les insectes entrent à grande échelle dans la composition de l’alimentation humaine », estime Antoine Hubert co-fondateur de l’entreprise française Ynsect. Pionnière sur ce marché, Ynsect vient d’investir 11 millions d’euros pour construire une usine à Dol en Franche-Comté. D’ici 2017, cette « fabrique à insectes » fournira 30 à 40 tonnes de farine d’insectes par jour !
« Les chiens et chats sont pour le moment le seul marché ouvert en Europe, notre objectif est d’obtenir l’autorisation de placer la protéine d’insectes au même niveau que la protéine de poisson. L’aquaculture vit sous perfusion grâce à la pêche. Mais à cause de l’effondrement des stocks de petits poissons de mer, la farine de poisson a atteint les 2.000 dollars la tonne. Avec les insectes, nous visons un prix de vente inférieur. »
L’entreprise Ynsect a vocation à s’installer à travers le monde et prépare des projets d’élevage en Asie. Eleveur d’insectes sera sans doute un métier à l’avenir : « nous voulons multiplier les unités de production d’insectes, à proximité des gisements de biomasse. Et pourquoi pas proposer un jour des services de production “clé en main”, envisage le président d’Ynsect. Les centaines de milliers d’espèces d’insectes nous offrent un champ d’exploration inépuisable. »
Découvrez également le projet de la startup américaine Ento Bento, qui a conçu des croquettes pour chien à base de farine de cricket ! ICI
QUELQUES CHIFFRES
♦ 2 à 2,5 milliards de personnes dans le monde ont l’habitude de manger plus ou moins fréquemment des insectes (Thaïlande, Mexique, Cameroun,…)
♦ 10 kg de céréales = 7 kg de vers de farine. Taux de conversion 7 à 8 fois plus élevé que les bovins. Elevage peu polluant et avec peu d’emprise au sol.
♦ Composition en matière sèche (environ 40 % de MS) de farine de mouche : 57 % de protéines ; 28 % de lipides ; 4,5 % de glucides ; 9 % de chitine (cuticule, structure proche de la cellulose) ; vitamines et minéraux.
♦ Demande protéique mondiale : 60 % provient de l’élevage et 40 % de la mer.
♦ Population à nourrir : 7 milliard d’humains, 20 milliards de poulets, 1 milliard de chiens et chats, 65 millions de tonnes de poissons d’aquaculture…
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