Une entreprise peut-elle concilier respect de l’environnement et rationalisation des dépenses? Petite démonstration chez Pocheco, leader français de l’enveloppe professionnelle.
S’il existe des néologismes obscurs, celui-ci a le mérite d’être parlant : l’écolonomie, c’est le mariage de l’écologie et des économies, l’art de dépenser moins en adoptant des comportements plus verts. Un concept qui va à l’encontre des idées préconçues puisqu’on considère généralement que ce qui est écologique coûte nécessairement plus cher.
Le créateur du terme « écolonomie », c’est Emmanuel Druon, président de Pocheco. « Je le dis haut et fort, clame-t-il à qui veut l’entendre : il est plus économique de produire de manière écologique. Ce qui coûte cher, ce n’est pas l’écologie. C’est l’impensé. Le vite fait. Les petites économies de bouts de chandelles sans recul, sans réflexion, sans courage, sans inventivité. »
De fait, le pilier de l’écolonomie, c’est la cohérence. Plus la démarche est globale, plus les gains de productivité seront au rendez-vous. Chez Pocheco le défi était de taille, l’activité de l’entreprise est particulièrement gourmande en matières premières. En effet, pour produire 2 milliards d’enveloppes, l’usine de Forest-sur-Marque, dans le Nord, utilise chaque année 10 500 tonnes de papier. « Pour moi il était inacceptable de tuer un arbre à chaque fois que nous fabriquions deux cent mille enveloppes », explique son président. D’autant que s’il faut un arbre pour deux cent mille enveloppes, il en faut cent mille pour assurer la production annuelle de Pocheco. Un calcul qui fait froid dans le dos.
Emmanuel Druon cherche alors une solution. Ses investigations finissent par l’emmener en Finlande où il découvre un fabricant de papier particulièrement soucieux de son impact écologique. Pour chaque arbre abattu, il en replante trois, choisis parmi des espèces variées et locales, afin de contribuer au développement de la biodiversité sur le site. Les engins qui coupent les arbres sont alimentés par du biocarburant produit à partir de matériaux organiques, notamment des débris de bois. De plus, ces machines ont été spécialement conçues avec des pattes pour ne pas écraser les jeunes pousses. En s’approvisionnant chez ce papetier depuis dix ans, Pocheco a contribué à la plantation de plus de deux millions d’arbres.
Voilà qui entre en résonance avec les idées d’Emmanuel Druon. Ses convictions écologiques sont profondes et il n’entend pas les laisser à la porte de l’usine quand il y arrive le matin. Au contraire, l’entreprise est pour lui un lieu des possibles, un théâtre idéal pour contribuer, à son échelle, à changer le monde. « Je ne vois pas d’autre moyen que de micro-agir, explique-t-il. Je ne peux pas régler les problèmes de la terre entière, mais en tant qu’entrepreneur, dans mon secteur, avec cent vingt personnes, je peux agir. »
Plus propre et plus autonome
Chez Pocheco tout est donc repensé pour plus de cohérence. Les encres d’impression, par exemple, contiennent traditionnellement des produits toxiques. Ici, on utilise celles qui comportent moins de 2 % de COV (composés organiques volatils) alors que la loi préconise seulement d’être en dessous de 5 %. Leurs pigments sont naturels et les teintes fabriquées sur place, en fonction des besoins, pour éviter tout gaspillage. Les colles sont produites à base d’eau et ne contiennent aucun COV. Un bon point pour l’environnement, mais également pour la santé des salariés qui manipulent ces produits à longueur de journée.
Ici, on s’efforce de réduire au maximum les dépenses d’énergie de l’usine. Première étape : récupération et chasse au gaspi. La chaleur produite par les pompes à vide est réutilisée pour chauffer l’atelier. L’isolation des bâtiments a été refaite, du sol au plafond. L’une des grandes fiertés d’Emmanuel Druon, c’est la toiture végétalisée qui recouvre aujourd’hui toute l’usine. Elle est non seulement belle mais utile puisqu’elle permet de réguler naturellement la température du bâtiment. Il y a ajouté un récupérateur d’eau de pluie, 600 m2 de panneaux solaires générant de l’électricité, ainsi qu’un système de rafraîchissement par transformation adiabatique qui remplace utilement la climatisation dans l’atelier. Cerise sur le gâteau, on trouve même sur ce toit douze ruches qui produisent chaque année 300 kilos de miel. « L’ancienne toiture était improductive et inerte, explique-t-il, la nouvelle est rentable et vivante ! »
Pour approvisionner l’usine en électricité, les panneaux photovoltaïques ne peuvent suffire. En complément, Pocheco est donc alimenté par une éolienne située dans un parc éolien, à 50 km de là. Un investissement de plus de deux millions d’euros qui devrait être rentabilisé en six ans seulement. L’entreprise revend en effet le surplus d’électricité produit par son éolienne à EDF au tarif de 8,2 centimes le kW/h.
Autre priorité : l’eau. Grâce aux citernes de récupération installées sur la toiture, 80 % de l’eau utilisée dans l’usine est aujourd’hui de l’eau de pluie. Devant l’entreprise, une bambouseraie a été plantée pour filtrer les eaux usées par un système de phytoremédiation. Pour Emmanuel Druon, « il ne devrait plus se construire un mètre carré en France sans que l’on prévoie à proximité immédiate du bâtiment l’espace utile à la récupération et au traitement de l’eau. »
Quand écologie rime avec économies
Tous ces travaux représentent de lourds investissements, mais ils sont, par essence, très vite amortis. A elle seule, la toiture végétalisée permet d’économiser chaque année deux cent mille euros : une moitié grâce à la climatisation, l’autre par la revente de l’électricité produite par les panneaux solaires. Cette toiture ayant coûté deux millions d’euros sera donc rentabilisée en dix ans. « Une toiture classique, explique Emmanuel Druon, n’aurait coûté que huit cent mille euros, mais cette somme n’aurait été récupérable qu’en vingt ans. Le choix de l’écologie nous fait donc gagner de l’argent. » Voilà comment se concrétise l’idée fondamentale de l’écolonomie : une entreprise peut à la fois adopter des solutions écologiques, faire des économies et devenir plus performante, dans une sorte de cercle tout à fait vertueux.
Pour Emmanuel Druon, aucun doute, ce qui est fait à Pocheco est transposable à tous les secteurs. « Si on a réussi avec un produit aussi peu rémunérateur que l’enveloppe, les autres doivent arriver à le faire ». Et il entend bien participer à la contagion. « Quand on a trouvé le Graal, on veut contribuer à ce que d’autres en profitent », ajoute-t-il en souriant.
C’est pourquoi il a créé Pocheco Canopée Conseil, une structure qui aide les entreprises à analyser leur impact écologique et à trouver des solutions concrètes pour améliorer leurs performances tout en respectant davantage l’environnement. « Entreprendre, explique-t-il avec conviction, ce n’est pas : vite, vite, vite, j’encaisse, j’accumule, j’avance, je recule, je triche, j’embauche, j’use, je vire, je profite, tandis que les autres pas. On peut et on doit changer les modèles. Et ça, ce n’est possible que lorsqu’on est indépendant. »
Chez Pocheco, l’argent gagné est intégralement réinvesti dans les outils de production. Pas de dividendes, pas d’actionnaires. C’est la seule façon pour le chef d’entreprise de choisir la logique à laquelle il adhère. Pour la mettre ensuite en pratique de façon efficace, Emmanuel Druon s’appuie sur le potentiel de tous ses salariés. Il décloisonne les services, crée des ponts entre les différents niveaux de hiérarchie, favorise autant que possible les échanges… La toiture végétalisée est ainsi devenue un lieu de convivialité où tous les salariés se croisent durant les pauses, des séances de sport ou des initiations à l’apiculture. Et surtout, le président de Pocheco incite les gens qui travaillent avec lui à être curieux, inventifs, audacieux… Dans ce but, chaque salarié dispose de 30 % de son temps de travail pour se former. « Lorsqu’on décide de s’en donner les moyens, on devient tous des créatifs industriels, explique-t-il. Pas besoin d’être riche pour développer des solutions! Il suffit de réfléchir, d’avoir beaucoup de rigueur et un peu de fantaisie. »
L’écolonomie n’est donc pas uniquement un concept théorique séduisant. Pochecoen est une illustration concrète convaincante : après avoir frôlé le dépôt de bilan il y a quinze ans, l’entreprise engrange désormais chaque année des bénéfices représentant 5 à 10 % de son chiffre d’affaires. Et son bilan écologique est indéniablement positif : depuis le 1er janvier, l’usine a déjà économisé 685000 litres d’eau et 230000 kg équivalent CO2. Et l’année n’est pas finie… (Article publié dans Kaizen 10, édition septembre-octobre 2013)
Du côté des salariés
Avant de devenir régleur chez Pocheco il y a un an et demi, Mehdi Zehr n’était pas particulièrement sensibilisé à l’environnement. « Comme j’ai pris l’habitude de faire attention sur mon lieu de travail, je me mets à changer mon comportement chez moi. Je trie mes déchets, je ne jette plus les papiers n’importe où… je n’y pense même pas, ça vient tout seul… ».
Pour lui, l’usine est radicalement différente des autres lieux où il a travaillé. « Ici, conclut-il, c’est beaucoup plus agréable, c’est propre, il y a de la lumière, des plantes, c’est vivant. Je n’arriverais plus à travailler dans une usine classique. »
L’entreprise, moteur de changement local
Quatre employés de Pocheco se consacrent à temps plein à Pocheco Canopée Conseil, un bureau d’études qui propose aux entreprises de mesurer l’impact écologique de leurs produits depuis l’extraction des matières premières jusqu’à leur fin de vie. Après le bilan, diverses solutions sont proposées pour limiter le bilan carbone ou le compenser.
Dans ce but, Emmanuel Druon a d’ailleurs créé l’association Pocheco Canopée Reforestation qui replante des arbres dans le Nord-Pas-de-Calais.
Enfin, au sein de l’usine, il veut créer une Maison de l’Écolonomie ouverte au public qui hébergerait également une AMAP.
Source : Kaizen