Avant que ne voie le jour, au printemps prochain, l’Institut pour la ville durable rattaché à l’Anru, le ministère de l’Ecologie, la Caisse des Dépôts et le pôle de compétitivité Advancity préparent le terrain et activent leurs réseaux pour aider “tous ceux qui sont appelés à concevoir ou assurer la maîtrise d’ouvrage d’opérations d’aménagement urbain voulues innovantes et sont confrontés aux difficultés de leur mise en œuvre”. Pour détecter, susciter, accompagner l’innovation, quelles solutions s’offrent aux élus ? Réponses dans un “vademecum” ou “mode d’emploi” présenté le 11 mars qui s’appuie sur de nombreux exemples locaux.
Né à l’initiative du pôle de compétitivité Advancity, le vademecum “Innovation et ville durable : repères pour l’action” est issu d’un partenariat avec le ministère de l’Ecologie et la Caisse des Dépôts et résulte d’une étude conduite par des chercheurs et cabinets de conseil et d’avocats. Dix organisations reconnues dans le champ de la ville durable ont mis en commun leurs connaissances et un groupe de travail pilote a associé des collectivités ou maîtres d’ouvrage publics (communauté urbaine de Strasbourg, EPA Marne, Grand Lyon, région Ile-de-France, Rennes Métropole, Serm Montpellier, ville de Grenoble), ainsi que des entreprises comme La Poste, Orange et Veolia. Pourquoi une telle émulation ? “C’est le bon moment : face aux sites pilotes et démonstrateurs annoncés ici et là , il y a un besoin de constituer, de nourrir un carrefour d’échanges et d’information, dont ce vademecum est une première brique”, indique Jean-Louis Marchand, à la tête d’Avancity. Les initiatives en effet foisonnent mais restent dispersées. Le besoin d’un cadre commun se fait sentir, tant pour mieux tirer parti des bonnes pratiques existantes que pour rendre ces innovations urbaines plus facilement duplicables ailleurs. “Parmi les freins repérés, il y a le niveau d’implication des habitants dans ces projets, les moyens juridiques et contractuels et le modèle économique qu’ils mobilisent. Mais aussi la nécessité d’ouvrir la gouvernance sur ces sujets”, abonde Vanessa Cordoba, qui a coordonné l’étude.
Boîte à outils
Pour faire du guide une boîte à outils, un petit détour hors des frontières s’imposait. Chose faite, et découverte : en Europe, des villes comme Amsterdam prennent le parti d’affirmer haut et fort la stratégie d’innovation urbaine qu’elles déploient. “A la base, il faut donc un élu porteur, une stratégie et des enjeux identifiés. Il ne s’agit pas d’investir tous azimuts dans des technologies. Mais de trouver une réponse claire à ces enjeux en dégageant des lignes de force, par exemple l’accès aux transports à Belfort, le développement économique à Nice ou l’environnement à Amsterdam”, ajoute Vanessa Cordoba. Quant au cadre propice à son éclosion, il varie. A Amsterdam, c’est un partenariat public-privé entre collectivité et industriel qui anime un réseau d’une centaine d’acteurs. Pour rendre les choses plus lisibles, mobiliser et lever des freins juridiques, trois zones dédiées à l’innovation y sont même fléchées en pleine ville (elles accueillent les projets pilotes du programme Smart City). A Vienne, la conduite et le suivi de l’innovation ont été externalisés et, au Grand Lyon, internalisés, via une cellule dédiée à la détection de projets et la mise en réseau, animée par une chargée de mission à mi-temps. Mais gare à la charge de travail supplémentaire que cela représente pour les services ayant moins de moyens ! A Barcelone, les services habitat, urbanisme et environnement ont carrément fusionné ! “En France, on a du mal à décloisonner, à sortir des approches secteur ou métier”, déplore Vanessa Cordoba.
Faciliter ou initier ?
Sociétés d’économie mixte (Sem), établissements publics d’aménagement (EPA) et collectivités peuvent être facilitateurs et mettre à disposition une parcelle pour tester des innovations, via une convention d’occupation du domaine public moyennant le paiement d’une redevance. Une voie explorée par la mairie de Toulouse, sous son précédent mandat. Trottoir producteur d’énergie à partir de celle des piétons (Viha Concept), test d’un smartphone pistant les places de stationnement disponibles dans un quartier (Lyberta)… De 2010 à 2013, la ville est alors parvenue à dialoguer et co-développer des innovations avec de jeunes pousses. “Pour faire émerger des projets au fil de l’eau, un guichet unique, une plateforme internet permettant de centraliser les demandes d’entreprises sont aussi un bon moyen. La collectivité peut aussi aller plus loin et jouer un rôle plus incitatif, en mettant en place des appels à projets sur des thématiques particulières et en mobilisant l’écosystème de l’innovation (clusters, incubateurs, universités), pour détecter les porteurs de projets (entreprises, étudiants) potentiellement intéressées par un projet d’expérimentation”, suggère le guide.
“Partir du projet”
C’est d’ailleurs ce que fait Paris & Co (ex-Paris Région Lab) : “Nous travaillons surtout avec la ville de Paris, et depuis peu d’autres collectivités. Nous partons du projet puis allons chercher le territoire. Nous concevons le cahier des charges des appels à projets en lien étroit avec les directions techniques de la collectivité. On n’est pas dans la conception d’un marché, face à l’expression d’un besoin. Mais plus dans l’intérêt pour une problématique, par exemple le mobilier urbain intelligent, la végétalisation innovante ou l’efficacité énergétique des bâtiments”, explique Sabine Romon, directrice de l’expérimentation à Paris & Co. Elle ajoute qu’entre la collectivité et l’entreprise, le mariage se joue sur un fil : “Il ne s’agit pas d’attirer l’attention d’une collectivité sur un produit, ni de lui faire espérer en retour que la start-up développera pour elle du sur-mesure. C’est un dosage subtil, lié à un terrain d’expérimentation, qui ne passe pas forcément par une convention d’occupation du domaine public et qui sort des logiques de lien aux fournisseurs, aux prestataires ou d’achat.”
Motiver les PME
Pour inciter les PME à proposer des expérimentations, il ne faut pas demander des dossiers trop lourds à monter mais proposer du financement initial, leur garantir que les revenus générés après l’expérimentation – du moins si les résultats sont bons – seront bien partagés, et les aider à s’adosser à de grands groupes pour décrocher des marchés ultérieurs. Qu’il s’agisse d’un territoire pilote ou d’un démonstrateur (projet opérationnel s’installant sur le territoire), il convient aussi de l’évaluer, même si le choix en la matière du bon référentiel reste “complexe et critique”. “Rien n’est simple mais on progresse. L’urgent étant de sortir de ce face-à-face et de ce jeu de postures entre entreprise et collectivité”, motive Valérie Lasek, directrice de la mission de préfiguration de l’Institut pour la ville durable, qui sera opérationnel au printemps prochain. “Tester, c’est bien, mais c’est mieux d’aller jusqu’à nous garantir un déploiement si elle prend de l’innovation, et que la collectivité ne soit pas floue mais ait un plan stratégie unanimement validé”, complète François Richard, directeur partenariats du programme Smart Cities d’Orange et représentant de l’Association française des entreprises privées (Afep).
Faut-il financer ?
Erigé au rang de principe pour une ville comme Barcelone, qui n’engage aucun denier public dans ses (nombreux) projets pilotes, l’expérimentation est souvent autofinancée par ses porteurs. Faut-il faire mieux ? Oui, conseille ce vademecum, car “il peut être intéressant de mobiliser, au profit des porteurs de projets, des dispositifs de financement complémentaires, qui peuvent avoir un vrai effet de levier sur le développement des projets, et ce en lien avec les acteurs pertinents (conseil régional, Bpifrance). Financements dédiés dans le cadre d’un appel à projets, fonds d’amorçage développé en partenariat entre banques et collectivités, ou mobilisation de budgets récurrents des directions techniques : plusieurs voies sont possibles. Cette année, Rennes Métropole projette ainsi de créer un fonds spécifique “pour financer des projets indépendamment de la commande publique et aider les PME à mettre en place leur expérimentation”.
Et via la commande publique ?
A l’attention des collectivités qui optent pour un déploiement de l’innovation urbaine via la commande publique ou sur leurs propres compétences, une série de recommandations sont données : sensibiliser et former les services achat, faire évoluer la rédaction des cahiers des charges et les procédures liées aux appels d’offres et consultations d’opérateurs, promouvoir l’innovation dans le cadre des délégations de services publics. “Enfin, si la personne publique ne souhaite pas recourir à l’un des contrats de la commande publique, elle peut développer son projet d’innovation urbaine en régie. C’est le choix fait par le syndicat mixte des transports en commun de Belfort pour le déploiement d’Optymo, un dispositif de mobilité urbaine particulièrement innovant.”
Source : Localtis.info