Et si notre modèle urbain était fondamentalement anti-écologique ? La transition écologique ne pourra pas se faire sans une transformation radicale des villes et de la structure de l’espace urbain.
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À l’heure actuelle, la société est en pleine période de transition. Après la COP21, on parle de transition écologique, de transition énergétique, on parle de réinventer un modèle de transport plus écologique, de voitures électriques, ou encore de favoriser le vélo dans les plans de déplacement des entreprises.
Toutes ces mesures ont un objectif : réduire notre impact environnemental, et faire la « transition écologique ». Mais toutes ces bonnes intentions se heurtent à un mur : celui de la ville. Dans sa conception actuelle, la ville favorise la voiture, l’étalement urbain, la disparition et l’éloignement des terres agricoles, l’utilisation massive d’énergie… Et si la ville telle qu’elle est conçue aujourd’hui était tout simplement incompatible avec une véritable transition écologique ? Va-t-il falloir réinventer notre modèle urbain ?
La ville moderne et la dépendance à la mobilité
Historiquement, les villes modernes se sont construites par rapport aux modes de transports. Le développement de la voiture individuelle a notamment facilité un développement phénoménal de l’espace urbain qui s’est étendu. Sur cette carte interactive, on voit par exemple le développement et l’étalement urbain de Paris entre 1800 et 2000. À partir des années 1930, et surtout des années 1950 (où la voiture individuelle commence à se généraliser) on voit nettement l’espace urbain s’étendre.
La conséquence de ces villes éclatées ? Une mobilité contrainte et polluante. Aujourd’hui, beaucoup d’entreprises tentent de réinventer la mobilité : de Uber à Blablacar en passant par Autolib. Mais le fait est que les grandes agglomérations modernes enferment leurs habitants dans une contrainte permanente de la mobilité : il faut une voiture pour se rendre à son travail, ou au moins les transports en commun, il faut une voiture pour se rendre dans les grandes zones commerciales. Aujourd’hui, 69% des actifs utilisent leur voiture pour se rendre au travail tous les jours. La notion de proximité a disparu, dissoute dans la vie périurbaine où prendre sa voiture est devenu un réflexe, un habitus du citoyen moderne.
Aujourd’hui, de plus en plus d’efforts sont faits pour donner une alternative à ce modèle, en privilégiant les transports en commun par exemple. Mais cela ne résout qu’en partie le problème, puisqu’on substitue alors un transport à un autre, une consommation énergie à une autre, ces nouveaux modes de déplacement engendrant à leur tour leurs lots de problème. Tous ceux qui sont déjà passés à La Défense à l’heure de pointe comprendront aisément pourquoi multiplier et favoriser les transports en commun ne constitue pas une solution durable dans le contexte urbain actuel.
La situation est d’autant plus paradoxale que si les citoyens ont besoin de prendre les transports, c’est parce qu’ils quittent les centre-villes. Or ce sont ces mêmes transports qui rendent les centre-villes désagréables : 41% des français disent vouloir quitter les grandes agglomérations à cause de l’agitation et du stress, 40% à cause des difficultés et des pollutions liées aux transports. En résumé, nous traitons les problèmes créés par les transports en créant encore plus de besoin de transports.
La ville moderne, l’habitat individuel et l’écologie
L’étalement urbain est aussi le fruit des choix de vie individuels : une majorité de français (56%) désirent vivre en maison individuelle isolée. Le modèle urbain actuel s’est construit sur la base de cette tendance : la périurbanisation est le résultat de cette classe moyenne qui délaisse les habitats collectifs du centre-vlle pour la maison individuelle des périphéries. Or sur le plan écologique, la maison individuelle est moins performante que l’habitat collectif et les immeubles. Ainsi, on estime que dans une maison individuelle, on consomme en moyenne en région parisienne 194 kW/h/m² par an, contre 181 kW/h/m² dans un appartement privé dans un immeuble dans la même région. Cela représente une différence de près de 7%, alors même que les immeubles parisiens sont en moyenne plus anciens que les maisons et souvent moins bien isolés. Comme les appartements pour le même nombre d’occupants sont en moyenne 40% moins grands que les maisons individuelles, cela représente une différence considérable en termes énergétiques.
D’après une étude menée par l’Agence de Protection de l’Environnement des Etats-Unis d’Amérique, une personne vivant en appartement consomme en moyenne 3 fois moins d’énergie qu’une personne vivant dans une maison individuelle. Et c’est sans compter sur les économies de matériaux que l’on réalise en construisant un immeuble par rapport à une maison.
Quand on sait qu’en moyenne la surface occupée par une personne s’est accrue de 43% entre 1978 et 2006, et que l’on voit que sur la même période le nombre de résidences secondaires a été multiplié par 3, on comprend vite la nécessité de changer notre gestion de l’espace urbain et des sols.
L’urbanisation et la connexion au territoire et au « terroir »
L’autre problème « écologique » de la ville, c’est sa connexion à la terre. Depuis le début de l’ère industrielle, la ville s’est construite par opposition à la terre. Cette opposition, on la trouve d’abord dans le phénomène de l’exode rural, au coeur de la croissance urbaine à partir du 19ème siècle. Les campagnes se vident, les villes se remplissent. De ce fait, des villes très étalées et très concentrées se développent alors même que les territoires plus reculés meurent quand leur population et leurs activités sont aspirées par les centres urbains.
Dans le même temps, le travail de la terre est remplacé par celui des usines. Le résultat, c’est qu’alors même que le monde agricole est en crise, la ville est extrêmement dépendante de sa campagne éloignée. Les produits que nous consommons en ville ont parfois traversé toute la France (ou plus) avant d’arriver dans nos supermarchés. On assiste donc à des situations particulièrement paradoxales : même les aliments estampillés « locaux », comme dans les étals de la Ruche qui dit Oui, ont parfois parcouru près de 250 km avant d’être consommés.
Le problème est d’autant plus saisissant que les zones les plus urbanisées et les plus artificialisées autour des grandes villes sont parfois aussi les plus productives en termes agricoles. Ainsi, les plaines de la Beauce dans le Sud de l’Île-de-France sont connues pour posséder les sols les plus riches, et malgré tout elles ont été très largement bétonnées. L’exemple le plus récent étant peut-être EuropaCity : ce projet destiné à dynamiser la périphérie parisienne du Nord, au détriment de terres agricoles fertiles et de l’écosystème local.
La ville à l’épreuve de sa contradiction écologique
Au final, la ville telle qu’elle est conçue partout dans le monde est un terrain d’expérimentation très difficile pour une transition écologique réelle et durable. Cela ne signifie pas qu’il soit impossible de réduire les impacts environnementaux des villes, au contraire. Cela signifie plutôt que pour amorcer une transition écologique réelle et pérenne, il sera nécessaire de changer de paradigme urbain.
Il faut penser des villes qui ne reposent pas tant sur la mobilité, car même en supposant que l’on puisse trouver des modes de transports alternatifs, ils seront toujours polluants (comme la voiture électrique par exemple) et stressants. Il faudra donc construire des quartiers de vie où l’on puisse à la fois habiter, travailler, consommer, se divertir. Cela implique d’en finir avec la spécialisation des quartiers (quartiers d’affaire / quartier résidentiel / quartier de loisir). La ville devra donc cesser d’être un espace uniquement dédié à l’optimisation fonctionnelle du travail, mais un vrai lieu de vie. Les lieux de travail seront-ils fondus dans l’espace urbain à travers des bureaux décentralisés, le télétravail ou les espaces de coworking ?
Il faut aussi penser des villes plus denses et plus compactes, mais aussi plus petites, éviter l’étalement urbain et la bétonisation des espaces péri-urbains. Mais cela implique que l’on doit cesser de se rêver tous multi-propriétaires de sa grande maison en banlieue et à la campagne. Cela veut dire, aussi, que le prix du foncier devra être maîtrisé afin de créer les conditions d’une vraie mixité sociale. De plus, on ne peut concevoir une ville vraiment durable sans la connecter à son espace agricole et industriel. Cela signifie qu’il faudrait repenser aussi la structure agricole, faire rentrer l’agricole dans le monde urbain en créant par exemple des potagers communaux ou d’autres structures d’agricultures verticales et urbaines.
Toutes ces problématiques sont pour l’instant absentes de beaucoup de politiques urbaines, focalisées à résoudre les problèmes que le modèle urbain actuel contribue à créer : embouteillages, places de parking, transports en commun. On le voit d’ailleurs très bien dans les pays du Sud, où les grandes métropoles telles que Manille, Dehli ou Lagos sont conçues sur les mêmes schémas inefficients.
Cette réinvention de la ville sera nécessairement difficile car elle devra abolir des structures de pensée, de vie et de consommation qui sont solidement ancrées dans notre société, et parce qu’il est tout simplement impossible de faire table rase de nos grandes agglomérations. Mais pour faire une transition écologique, il faudra bien faire, d’abord, cette transition sociétale et urbaine.
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